France vs USA, un match médiatique
- Amélie Aubry
- April 2025
Dans l’arène de l’information et des RP, la France et les États-Unis jouent un match à la fois passionnant et déroutant. Deux visions du journalisme, deux traditions de la communication, deux conceptions de l’influence. Ce n’est pas un simple face-à-face entre old school et next-gen, mais bien une confrontation entre deux imaginaires médiatiques.
Et comme le souligne très justement Christophe Jakubyszyn, Directeur des rédactions des Echos, à propos de l’impact de Trump sur le journalisme : « Trump est une chance pour les médias internationaux, car il décuple leur valeur et leur légitimité… et sans aucun doute leur grande responsabilité. »
Autrement dit : la crise de confiance nourrit un besoin renouvelé d’autorité. Mais de quelle autorité parle-t-on ?
Tiktokisation : le contenu court mais dense
Dans l’imaginaire collectif français, les médias américains sont souvent caricaturés : superficiels, sensationnalistes, obsédés par la performance. Pourtant, les États-Unis ont su faire du format court un outil de transmission, de conviction et de mobilisation. On pense à Vox ou NowThis, capables de résumer une réforme fiscale ou un conflit géopolitique en 90 secondes — sans trahir le fond, mais en activant les bons ressorts visuels, émotionnels et pédagogiques.
En France, la conversion aux formats courts a longtemps été perçue comme une forme de simplification abusive. Mais aujourd’hui, des médias comme Urbania et ses contenus drôlement intelligents prouvent qu’il est possible d’allier complexité, brièveté et exigence.
Car plus le format est court, plus la culture et l’expertise de celui qui le conçoit doivent être longues. C’est un paradoxe apparent : derrière 30 secondes de vidéo percutante, il faut souvent des heures de veille, de lectures, de structuration du propos. C’est là que se joue la différence entre un contenu vide et un contenu dense de sens.
Un bon exemple ? Le format Le pourquoi du comment de France Culture condense en 45 secondes une pensée philosophique ou une controverse politique. C’est bref, mais chaque mot est pesé. Chaque référence est assumée. Le raccourci n’est pas une simplification, mais une concentration et une densification de l’information.
Paid & earned media : les écueils d’une hybridation floue
Le modèle américain repose sur une hybridation assumée entre influence, publicité et journalisme. Un influenceur peut être un éditorialiste. Un média peut proposer une tribune sponsorisée. Un journaliste peut se reconvertir en strategic advisor. La porosité est partout – et c’est assumé.
Axios, média américain fondé par d’anciens de Politico, vend par exemple à ses annonceurs des branded newsletters qui adoptent exactement les codes du journalisme classique. C’est efficace, lisible, intégré. Et pourtant, c’est bien du paid media.
En France, cette fusion est taboue. Mais elle existe : les médias vivent de native ads, les entreprises et marques produisent de plus en plus de contenus “éditorialisés”, et certains journalistes se reconvertissent en consultants en communication. La France continue à croire à la vertu des cloisons, même poreuses. Mais le flou subsiste. Alors faut-il désormais l’assumer, ou au contraire chercher à le réguler ? Peut-être est-il temps de dépasser l’idée rassurante des cloisons poreuses, pour redéfinir des repères clairs, à la hauteur des enjeux contemporains : garantir la liberté d’expression, protéger l’indépendance éditoriale, et construire des pratiques plus lisibles et responsables – des deux côtés du miroir.
Intelligence artificielle : entre automatisation et abdication
Aux États-Unis, l’IA est déjà rédactrice, correctrice, planificatrice. Gannett (le plus grand groupe de presse locale) utilise l’IA pour rédiger des résumés de matchs, The Guardian pour générer des synopsis de sujets, Buzzfeed pour créer des quiz sur mesure.
Mais le cas le plus parlant reste celui du Los Angeles Times, où un robot compteur de biais a publié un texte justifiant des “points de vue alternatifs” sur des groupes suprémacistes. La machine ne fait pas la morale. Elle applique un modèle logique. Voilà tout le danger.
En France, les rédactions sont plus prudentes. Le Monde, Les Échos ou Radio France testent l’IA pour des tâches secondaires (traduction, veille, indexation), mais refusent de déléguer l’angle, la hiérarchisation ou la voix à une IA. L’innovation est là, mais elle avance sur la pointe des pieds, portée par une culture française attachée au discernement.
Rédactions fragilisées : la convergence des vulnérabilités
Des deux côtés de l’Atlantique, les rédactions souffrent : baisse des abonnements, chute des revenus publicitaires, défiance du public. Mais les réponses sont très différentes.
Aux États-Unis, l’explosion des newsletters payantes via Substack illustre une tendance à la personnalisation extrême de l’information. L’info devient un produit, un style, parfois une idéologie. Le journaliste devient une marque — et parfois un média à lui seul.
En France, la logique reste plus collective. La presse continue de défendre un modèle déontologique, une responsabilité partagée, une éthique de la nuance. Mais cette vertu devient aussi une fragilité dans un monde où la polarisation, l’émotion et le clash captent davantage l’attention.
Un match sans vainqueur, mais pas sans conséquences
La communication française aime se croire à l’abri : plus cultivée, plus exigeante, plus modérée. Mais les tendances sont là : LinkedIn est devenu une scène de personal branding ; TikTok une fabrique à influenceurs publics ; les marques elles-mêmes deviennent des éditeurs de contenus.
Le dilemme se pose alors à tous les communicants : faut-il sacrifier un peu d’exigence pour gagner en efficacité ? faut-il investir les nouveaux formats sans se renier ? Et surtout, faut-il choisir un modèle… ou inventer le sien ?
Le vrai enjeu, c’est peut-être celui-ci : comment faire émerger une voix qui conjugue exigence française et puissance américaine, influence et responsabilité, formats courts et profondeur de champ ? La balle est dans notre camp.