Le Storytelling est mort. Vive le Reverse Storytelling !
« Storytelling » : le mot est gros à force d’avoir été usé et brandi à tout-va. Il fait craindre la manipulation des émotions, évoque un écran (occultant) sur lequel sont projetés les désirs supposés de foules supposément séduites. Mais à force de balivernes, de grosses ficelles ou tout simplement d’histoires qui ne les concernent pas, les audiences ainsi adressées bâillent ou se méfient. — Ma grand-mère, que votre histoire est exagérée ! — C’est pour mieux t’endormir mon enfant…
Le Storytelling à rebours
Nul n’ignore que l’heure est au participatif. Le consommacteur contemporain ne gobe pas tout cru ce qu’on lui sert, il lui faut de l’appropriation, de l’identification, de la co-élaboration, de la co-écriture. Il est aussi consommauteur : il veut entrer dans le récit comme on entre dans la danse
Pensé par analogie avec le Reverse Mentoring (quand les Millenials apprennent aux séniors la culture digitale), le concept de Reverse Storytelling© a pour principe de renverser les codes habituels de la conception des récits corporate. Reverse Storytelling : ceux qui racontent l’histoire doivent d’abord l’écouter. Et cette écoute est aujourd’hui une des premières attentes des parties prenantes d’une entreprise ou d’une marque : à 74%, les Français en parlent comme d’une action susceptible de renforcer une confiance entamée.
Écouter pour trouver les mots justes
Premier moyen d’y parvenir : inverser les rôles, renverser les positions usuelles du conteur et de l’auditeur. Dans Le Conteur, l’inclassable Walter Benjamin (1892-1940) exhortait déjà celui qui veut raconter à d’abord travailler son écoute. Puisque « raconter des histoires est toujours l’art de les re-raconter », l’auditeur doit être suffisamment attentif, dans un « état d’oubli de soi » pour qu’il « écoute les histoires d’une façon telle que le don de les raconter lui échoie naturellement. » Nous renouvelons ce conseil : il faut entendre ceux à qui on prétend s’adresser, les comprendre, mais aussi capter leurs mots, la manière dont ils commencent leur histoire, leur mot de la fin. Et, pour cela, il faut les laisser se raconter et raconter leur vision des choses : de l’entreprise, des femmes qu’une marque prétend représenter, d’un enjeu de société à propos duquel un sense of purpose s’écrit, par exemple.
Plutôt que de confectionner de toutes pièces et hors-sol un discours dans lequel le destinataire ne reconnaîtrait pas son expérience ni sa perception des réalités qui l’entourent ni encore ses aspirations ou valeurs, il faut l’impliquer dès l’origine dans l’élaboration du récit – littéralement l’ « autoriser » (le rendre auteur). Destinataire externe tout comme destinataire interne : car les collaborateurs doivent être les premiers contributeurs des récits de l’entreprise pour laquelle ils choisissent de travailler. « Inspiré d’une histoire vraie » : avec le Reverse Storytelling, la mention n’est pas usurpée puisqu’il est question d’ancrer le récit de l’entreprise dans du vécu, du réel.
Co-construire l’identité d’entreprise
Haut-parleur et bas-auditeur, les rôles sont dès lors inversés. La ligne de transmission n’est plus essentiellement descendante, elle devient boucle rétroactive. La révolution est pour le moins copernicienne : par cette approche bottom-up de la narration, horizon de renversement carnavalesque* et rénovateur du récit d’entreprise, l’innovation verbale peut advenir. Les ressorts habituels de la construction narrative sont écartés au profit de nouveaux angles créatifs, insoupçonnés parfois. Dans l’écoute de ses multiples parties prenantes, l’entreprise aux mille et un visages** rencontre sa réelle identité, plurielle, à facettes. Elle entend de même leurs aspirations réelles et peut donc construire des discours plus efficaces parce que mieux adaptés à ses cibles.
La méthode peut encore être élargie. Lors d’ateliers collaboratifs, il s’agit de convier à la table de la co-construction narrative, philosophes, artistes, sociologues, ou toute autre profession (avocats, sportifs, artisans…), extérieurs à l’entreprise et à ses sphères, afin qu’émergent de nouvelles pistes de réflexion, d’autres et inédites manières de poser des questions et d’y répondre. Parmi ces récits venus d’ailleurs, l’entreprise trouve ceux qui entrent en résonance avec sa propre vision du monde et son désir intime d’y apporter sa contribution, décisive et vraie. Parfois, elle y entend, exprimé avec des mots qu’elle n’aurait jamais utilisés, le reflet exact de ses intentions. Le Reverse Storytelling est une des manières les plus étonnantes et in fine appropriées pour découvrir ses propres territoires d’identité verbale.
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Nos publications sur les identités :
Identités verbales. Au pluriel.
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