• July 2020
  • François Guillot
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Quand, il y a quinze ans, les métiers de la communication ont commencé à prendre conscience que le web devenait social, que les médias devenaient digitaux et que la manière dont les individus se faisaient leur opinion en serait profondément impactée, j’étais persuadé que tout irait très vite.

En regardant en arrière, il me semble que oui, c’est en grande partie vrai… mais qu’il reste un chemin significatif à parcourir

Digitalisation des métiers de la com

Il ne s’agit pas ici de refaire quinze ans d’une courte histoire de la digitalisation de la communication : les nouveaux médias, les réseaux sociaux, l’influence digitale, les influenceurs, l’advocacy, les contenus, beaucoup de choses ont changé profondément et finalement très vite.

Mais une des choses qui me frappent le plus est la différence de rythme de changement d’un métier à l’autre. Certains se sont avérés assez réformistes, d’autres plus conservateurs. Et pour prendre un exemple, il me semble, en 2020, que la fonction RP a encore besoin de se digitaliser.

Une culture et des pratiques encore traditionnelles

On le voit un peu partout : la culture du sacro-saint communiqué de presse n’a pas été déboulonnée. Un journaliste continue de recevoir un communiqué de presse toutes les huit minutes* et, en France, on compte davantage d’attachés de presse que de journalistes. Quelques réflexions cosmétiques n’y ont pas changé grand-chose (exemple : feu le « communiqué de presse 2.0. »).

Mon propos n’a jamais été de dénigrer tel ou tel métier de la communication. Je crois au contraire profondément à la valeur des médias, donc à celle des relations avec les médias. La question est celle de la manière de pratiquer le métier.

Et force est de constater que même si certains ont réellement transformé leurs pratiques (on a notamment vu un certain nombre de directions de la communication rapprocher les fonctions RP et social media dans un pôle « Influence »), beaucoup de vieilles habitudes ont la vie dure.

Peut-être par conservatisme, par refus du changement.

Peut-être à cause d’un manque de culture de la performance dans ce métier (on s’en sort toujours avec quelques chiffres sur le « nombre de retombées », quelle que soit la valeur de celles-ci. Pourquoi se réformer dans ces conditions ?).

Peut-être parce que les élites manquent encore de culture digitale et que pour faire plaisir à son patron, on continue à lui faire le CP qu’il a demandé, même si on sait que cela ne servira pas à grand-chose.

Mais la question, heureusement, revient régulièrement, et le tout est de savoir comment la traiter de façon concrète.

Car oui, on a beaucoup dit « il faut digitaliser », « il faut digitaliser » (en sautant sur notre chaise, diront certains), mais encore faut-il dire comment et le faire précisément.

Expliquer concrètement ce qui change : sept chantiers pour les RP

Un service de presse qui ambitionne de digitaliser ses pratiques (ou un service social media qui doit mieux s’imbriquer avec un service de presse) peut organiser sa réflexion autour de sept enjeux, en fonction du niveau d’avancement du client (c’est en tout cas comme ça que je le fais !). De l’amont à l’aval :

1. La connaissance de l’usage de Twitter par les journalistes (la cartographie)

Je le dis intuitivement, mais il me semble que les journalistes utilisent davantage Twitter que les attachés de presse… Il paraît évident, mais encore faut-il le faire, de cartographier l’usage des journalistes sur Twitter, de les suivre (mais surtout de les lire – cliquer sur « follow » n’est que le début du travail) et d’en faire quelque chose, in fine.

Il ne s’agit pas de les harceler par Twitter, mais plutôt d’utiliser Twitter comme un outil de connaissance des journalistes avec qui on est amené à travailler : leurs centres d’intérêt, les débats qui les animent, ce qui les meut. Un travail ethnographique autant que cartographique.

2. L’usage de Twitter par les responsables presse (l’ambassadorat)

Car il ne s’agit pas seulement de suivre des journalistes ou des influenceurs, mais aussi de jouer son rôle d’ambassadeur de l’entreprise. A minima, en relais des actus de l’entreprise et des retombées médias que l’attaché de presse s’efforce d’obtenir. L’attaché de presse n’est certes pas porte-parole, mais ce qu’il dit au nom de l’entreprise a une valeur officielle. Et son Twitter est aussi, automatiquement, un canal de communication de l’entreprise (tout en étant son fil personnel : je sais, c’est compliqué, mélange perso/pro, tout ça, et on n’a pas fini d’en parler). Pas forcément un canal qui a vocation à être suivi par des dizaines de milliers de personnes, pas forcément un canal qui pousse du contenu toute la journée, mais un canal très spécialisé, qui va intéresser des personnes ciblées, et qui peut être activé en cas de besoin ou d’opportunité. Et certains responsables presse ont montré tout l’intérêt de la démarche en devenant eux-mêmes des influenceurs…

3. Les réponses aux erreurs, aux omissions… (le fact-checking)

Gros dossier, le fact-checking, tant la frustration est grande, dans les directions de la communication, à l’égard des idées reçues, des erreurs de journalistes, des infox… Le sujet dépasse le cadre de la fonction RP, mais celle-ci a un rôle important à y jouer.

Et un des leviers est de faire faire le fact-checking par les attachés de presse : un tweet à un journaliste ou une rédaction pour corriger une erreur ou apporter un complément d’info, une réponse visible à un article incomplet, le commentaire en live des émissions de TV, un statement sur un débat qui part en ville…

On peut tout à fait préférer que ces techniques (liste non exhaustive ici) dites « conversationnelles » soient pratiquées par des individus plutôt que par le fil officiel, et en l’occurrence des individus avec une légitimité particulière sur la véracité de l’info émanant de l’entreprise : les responsables RP.

4. Le circuit des annonces officielles (la médiatisation)

Pourquoi tant de communiqués de presse ? On a le sentiment qu’il n’y a pas d’annonce, pas de lancement dans une entreprise, s’il n’y a pas de communiqué. Pourtant, dans bien des cas, un tweet (ou un thread) fait l’affaire. En particulier si on veut aller vite. En particulier en situation sensible.

Et il ne s’agit pas que du choix du canal, mais aussi de celui de l’émetteur : de plus en plus de dirigeants sont eux-mêmes les émetteurs des « breaking news » des entreprises, cela a du sens et donne du poids à l’annonce… et cela peut se faire sur LinkedIn, un canal sous-estimé et sous-utilisé pour la médiatisation des news.

Bref, il n’y a pas qu’un circuit de la médiatisation avec des étapes obligatoires « parce qu’on a toujours fait comme ça », mais un ensemble de possibilités selon les enjeux, les ambitions et les contraintes.

5. Les relations avec les nouveaux médias (les RP digitales)

Il ne s’agit pas ici de dire que les nouveaux médias (pure players en ligne, .fr des médias traditionnels et leurs contenus originaux, dont les rubriques vidéo, webTV, blogs…) existent et qu’il faut les prendre en compte : on le sait bien.

Le sujet est plutôt, d’abord, la considération de ces nouveaux médias, moins connus ou moins prestigieux que beaucoup de titres de presse traditionnelle, mais parfois plus puissants… et donc leur intégration au bon niveau dans un plan de communication (ce qui suppose aussi de convaincre son dirigeant, son porte-parole qui, lui, n’en a jamais entendu parler…). Un beau contenu dans un de ces nouveaux médias, ça peut être le jackpot.

Ensuite, la connaissance de leur évolution : car les médias en ligne changent, innovent, lancent de nouveaux projets, et le travail du responsable RP est aussi de connaître finement, et en temps réel, ce paysage.

6. L’analyse de l’impact des retombées (la veille et les KPI)

Le but de la fonction RP, dit rapidement, est d’obtenir une couverture efficace dans des médias pertinents. L’attaché de presse ou le responsable RP œuvre à obtenir des retombées (mot large pour parler d’articles, d’émissions, de contenus web…). Dans l’approche traditionnelle du métier, le boulot est à peu près fini lorsque le papier est publié. On le lit et on en est content ou pas, et on le mesure en disant « Le Figaro, c’est 330 000 lecteurs » (on n’a aucune idée de combien de personnes ont réellement lu le papier, mais on ne sait pas mesurer autrement).

Or, un des grands changements avec les réseaux sociaux, c’est que ce n’est pas parce que j’ai eu LeFigaro.fr que mon papier va être vu, et ce n’est pas parce que j’ai eu une retombée dans un média inconnu que personne ne va la voir. Les audiences des contenus au sein d’un même média peuvent aller, disons, de 1 à 100. Alors, ma retombée, elle a intéressé ou pas ?

Ça se mesure à partir de la viralité du papier, à défaut de connaître son audience (BuzzSumo fait ça très bien pour Twitter et Facebook), et on a parfois des surprises.

Au-delà des scores de partage, le sujet est aussi celui des conversations que le papier génère (ou pas). Un suivi de la vie des retombées s’impose, au-delà, ou en complément, de la veille de réputation, que l’on espère en place par ailleurs.

Et concernant les émissions mises en ligne sur YouTube, un petit tip : continuer à relever les stats mensuellement, car cette émission d’il y a trois ans pleine d’idées reçues, elle, continue à être vue, et l’analyse des audiences ne doit pas se faire que sur ce qui est nouveau, mais aussi sur ces « audiences cachées ».

7. La deuxième vie des retombées (l’influence digitale)

Toujours dans l’idée que l’affaire n’est pas finie à la publication du papier (ou de l’émission), voire qu’une nouvelle affaire commence…, si la retombée est bonne, c’est une matière en or : un contenu tiers (ce n’est pas l’entreprise qui le dit, mais un média). On décuple la crédibilité du contenu auprès des publics externes, on crée de la fierté auprès des salariés… Et la question qui se pose est donc : comment « recycler » cette matière dans une logique d’influence et d’engagement ? Un bon papier doit être retraité dans un ensemble de canaux : les réseaux sociaux officiels (et tout de suite, pas dans une semaine parce que le planning est déjà complet), les réseaux sociaux des dirigeants, l’employee advocacy, la com interne, et j’en passe.

Alors, bien sûr, dans les services de presse, dans les directions de la communication, on n’en est certainement pas au niveau zéro sur chacun de ces sept enjeux.

Mais il y a encore des caps à franchir, et sans doute même un huitième sujet : la perception et la connaissance internes du travail de la presse : par les dirigeants en particulier et par les autres métiers en général. Plus le service de presse est digitalisé, plus ce travail de pédagogie est important.

J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour terminer.

La mauvaise, c’est que c’est, objectivement, davantage de boulot pour les équipes RP…

Et la bonne, c’est que c’est non seulement passionnant, mais aussi un vrai moyen d’augmenter la performance de la communication… et d’avoir des choses intéressantes à mettre dans ses slides de bilans et reportings.

 

* Etude 2016 (certes, mais je ne suis pas certain que les choses aient beaucoup changé depuis).

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