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That is the question (or not)

La question nous est souvent posée de la manière suivante : doit-on quitter X pour Bluesky ? Mais ce n’est peut-être pas la bonne manière d’aborder le sujet, en fait. Et en tout cas, cette question en ouvre beaucoup d’autres.

D’abord parce que le « on » est mal défini. L’entreprise à travers ses canaux officiels ? Pour une majorité de comptes corporate, visibilité et engagement se sont déjà effondrés sur plusieurs années : sur le CAC 40, l’impact moyen d’un tweet est aujourd’hui 4 à 6 fois inférieur à ce qu’il était en 2020.

X, déjà largement désinvesti pour la communication corporate

C’est une évidence, la communication corpo ne trouve plus sa place sur un média brûlant, où les usages ses sont recentrés sur l’actualité, la politique, le sport, l’entertainment et le LOL.

La visibilité moyenne d’un tweet est environ 20 fois inférieure à celle d’un post Linkedin et de facto, la majorité des entreprises ont fortement ralenti leur activité sur X (et déplacé leurs efforts là où ça sert davantage à quelque chose, comme ici sur Linkedin, mais pas que). Y trouver son bonheur avec un compte officiel relève désormais de l’exception.

Pour la majorité, X est déjà secondaire, depuis un moment, et le « quitter » est donc une fausse question.

Un geste politique… qui suppose engagement et grande cohérence

Pour les exceptions, les entreprises qui continuent à avoir de l’impact sur X donc, le quitter reviendrait à un acte politique qui ne peut avoir du sens que s’il s’inscrit dans un projet politique fort. Et faire comme :

 

Autrement dit, si je quitte X parce que je considère qu’il est malsain, je dois alors aussi m’assurer que je n’annonce pas dans des médias ou émissions que je considère eux aussi malsains, et donc être capable de définir ce qui est « compliant » et ce qui ne l’est pas. Et être par ailleurs irréprochable au niveau de l’éthique, et cela nous renvoie vers des sujets comme la fiscalité, le traitement des sous-traitants, etc.

Bon courage donc, et vision à laquelle on peut opposer plusieurs questions : ne doit-on pas au contraire vouloir parler à tout le monde ? Même à ceux qui ne nous plaisent pas ? Et les opinions sur X, pour radicales qu’elles soient, ne sont-elles pas finalement un miroir de nos sociétés, peut-être pas si déformé que ça ? Que dit-on à, que pense-t-on de ceux des collaborateurs de l’entreprise, forcément nombreux, qui sont séduits par les populismes ?

Et au fond, est-ce X qui nous déplaît, ou le fait que les sociétés soient fracturées ?

Le problème est le même en affaires publiques : peut-on ne parler qu’une partie de la représentation nationale ?

Un marqueur d’engagement, voire de militantisme

Revenons au « on », qui peut aussi (surtout en fait) être celui des individus, libres de leurs choix en fonction de leur sensibilité. Ceux qui partent (Hello HelloQuitteX) le font comme une forme de boycott et c’est tout à leur honneur, mais ils ne « doivent » rien.

C’est une décision profondément personnelle mais qui est aussi un marqueur d’engagement voire de militantisme, et le fait d’une petite minorité rendue visible par l’effet médiatique qui lui est déformant. (Les chiffres ne montrent pas que Bluesky est prêt à devenir un « grand » réseau social.)

Tous les autres ont le droit d’y rester, de s’y éclater (ne pas oublier que les utilisateurs de X en sont souvent des grands fans : on adore ou on déteste), et cela n’en fait pas des fachos pour autant.

Bluesky : effet médiatique ne signifie pas effet de réseau

On en vient à Bluesky : quitter X « pour » Bluesky ? (et pourquoi seulement pour Bluesky d’ailleurs ? Pour beaucoup l’alternative n s’appelle ni Bluesky, ni Mastodon, ni Threads, mais bêtement Linkedin).

Cela sous-tend que l’on recherche ce qui avait fait que Twitter nous avait séduits : les messages courts, les interactions, la viralité, l’immédiateté, mais aussi l’humour.

OK pour les fonctionnalités, puisque la créature de Jack Dorsey reste très semblable au Twitter originel, mais sur les usages, on en est loin et on est surtout encore loin de l’effet de réseau nécessaire : être assez nombreux à y être actifs pour qu’il se passe vraiment quelque chose et que cela rende l’expérience intéressante.

Le mot « actif » est important car on y trouve beaucoup de comptes dont le dernier post date de 2023, époque des premières invitations…

Une chose est sûre et concerne toutes les entreprises : la position sur X (et les autres réseaux sociaux), qu’elle soit prise par l’angle de l’efficacité de la communication ou de la politique et des valeurs, doit non seulement être claire, mais aussi écrite (plus facile à dire qu’à faire). Pour répondre aux questions internes qui montent, mais aussi aux questions externes.

Le social media n’est plus qu’un sujet de communication, mais aussi d’éthique.

Bluesky est une niche politique… ou scientifique

Les raisons d’aller sur Bluesky sont de s’y retrouver dans une communauté des dégoûtés de X qui vont tenter (mais à mon avis un peu vainement, car l’époque a changé et on ne vit pas deux fois la même chose) de retrouver l’expérience joyeuse des premières années de Twitter. Bluesky est, de facto, lui aussi, politique, puisqu’il est l’anti-X.

Et mon hypothèse est que dans le meilleur des cas, il sera le Dr Jekyll de l’affreux X / Hyde. Deux faces d’une même pièce, l’une se revendiquant d’une liberté d’expression décomplexée, l’autre d’une pensée saine et constructive.

Ou bien, et dans ce cas la question Bluesky est indépendante de X, d’y parler science (la communauté scientifique y étant effectivement assez active depuis que le CNRS a décidé de s’y translater). Le succès que Valérie Masson-Delmotte y rencontre est l’exemple le plus évident, mais il montre qu’il se passe un truc.

Y parler science donc, et peut-être d’ailleurs plus à travers une approche de leader ou expert advocacy (autrement dit, en mobilisant les énergies des scientifiques de l’entreprise) que de compte corpo.

Au bout du compte, s’investir sur Bluesky est une attitude d’early adopter comme pour tout « nouveau » réseau social, pour tester et de voir ce qui s’y passe. C’est de l’expérimentation.

En revanche, « s’investir » ou « expérimenter » ne veut pas dire se créer un compte, publier quelques posts de ci de là et jeter un œil de temps en temps pour voir ce qui s’y passe. Il ne s’y passera rien pour ceux qui ne s’y passionnent pas. On ne pourra en tirer de la valeur qu’en en faisant une priorité, même temporaire, une petite obsession.

Autrement dit, en ne faisant pas les choses à moitié. Comme pour tout dans la vie.

Mais malheureusement, pas comme toujours dans les stratégies réseaux sociaux…