Faut-il (vraiment) tuer les .com ?
Entendu récemment : « Avec les réseaux sociaux et Wikipédia, je ne vois pas l’intérêt d’investir dans un .com hormis pour adresser les publics jeunes diplômés et actionnaires. Et encore. ». Conclusion : le .com devrait se réduire à un site one page institutionnel proposant au mieux quelques killer features pour ces publics bénis (et acquis), agrémentées d’un environnement éditorial sommaire de présentation. Quant au « reste », c’est-à-dire le stock et le flux de la parole institutionnelle digitale de l’entreprise, il gagnerait à être déportalisé, versé et activé sur des espaces tiers où il serait infiniment plus susceptible de rencontrer et d’engager les audiences.
L’entreprise, persona non grata sur Wikipédia
Passons sur Wikipédia, qui recueille et stimule un travail monumental et remarquable depuis vingt ans, mais dont les règles très strictes de contribution à la plateforme s’opposent paradoxalement à l’exercice de synthèse nécessaire à la présentation des informations financières et extra-financières. Pour preuve, ce post publié par le patron France de Wikimédia, l’organisme de tutelle de Wikipédia, sur Twitter à propos d’un grand du CAC : « @Wikipedia_fr n’est pas le réceptacle du baratin habituel des entreprises. Gardez-le pour la pub, les CP et la RSE ». Wikipédia n’est pas – de la bouche même de ceux qui le font vivre – un lieu propice à la communication institutionnelle. C’est le constat de tout communicant qui s’y est frotté : opérationnellement, les règles de la plateforme conduisent à un drôle d’exercice : créer ou faire créer une source tierce, pour pouvoir ensuite la citer dans l’article concerné. C’est long, ardu, incertain et cela revient finalement à recréer ailleurs la tension que Wikipédia n’entend pas accueillir. Il n’a pas lieu de débattre ici des raisons de cette situation, qui s’explique sans doute par un biais de confirmation : communication d’entreprise = green washing.
Les réseaux sociaux, empire du push
Passons aux réseaux sociaux. Un espace essentiel de publication, de partage et éventuellement de conversation entre la marque et ses publics mais qui souffre là encore de quelques biais : la polarisation (Twitter) ou l’euphémisation (LinkedIn), la sélection algorithmique et surtout un usage gouverné par les mécaniques de push, au détriment quasi exclusif du pull. On ne cherche rien sur les réseaux sociaux, on n’y trouve rien : on y est exposé aux messages d’émetteurs qu’on a choisis de suivre, et à ceux qui cochent la poignée de hashtags auxquels on s’est abonnés. Sur les réseaux, on passe de l’émetteur au sujet, mais quasiment jamais du sujet à l’émetteur. En d’autres termes, les réseaux sociaux sont marque centric : on y soutient ou condamne les marques et leurs actions ; on ne la découvre pas dans ses nuances ou même dans ses évidences.
Faire émerger votre parole institutionnelle auprès de ceux qui ne vous cherchent pas
Sur Google, c’est tout à fait autre chose : on rencontre une audience qui vous cherche et surtout une autre qui ne vous cherche pas. Ou en tout cas qui ne s’attend pas à trouver votre entreprise en face de ses requêtes. Comme disent les spécialistes, le trafic organique est de « marque » (la requête de l’internaute inclut le nom de l’entreprise) ou « hors marque » (la requête ne cite pas l’entreprise).
Et c’est cette dynamique du « hors marque » qui fonde l’utilité du.com, qui permet à une entreprise d’émerger de façon crédible et efficiente sur les questions de société qui sous-tendent les combats qu’elle peut mener, dans les termes qu’emploient les audiences concernées. Dans leur intimité sémantique. C’est-à-dire dans une relation de proximité que créent les intérêts partagés.
Le .com, véhicule stratégique d’une parole audience centric
C’est sans doute contre-intuitif, mais c’est le .com qui permet d’être non plus « marque centric » mais « audience centric » et d’associer naturellement une requête, c’est-à-dire une motivation sans à priori (comprendre quelque chose, chercher une inspiration, se tenir au courant d’un sujet, …), à des contenus produits par l’entreprise. Il permet de surcroît d’embaser les internautes que l’expérience et les contenus auront convaincus, qui voudront en savoir plus et éventuellement suivre l’éditeur dans la durée (y compris en acceptant ses cookies first).
Si l’on pousse encore plus loin, et c’est indispensable à l’heure où les consommateurs comme les marques se questionnent et recherchent du sens, une stratégie SEO puissante adossée à un .com est indispensable pour défendre et activer les combats qui sont l’expression des raisons d’être. Certes, ce n’est pas le site institutionnel qui va allumer la flamme : celle-ci va prendre ailleurs, sur les réseaux sociaux notamment ou via les médias et plus globalement des stratégies d’influence. Mais la transformation de la revendication en action positive peut et doit se faire via la captation au niveau des .com des requêtes suscitées par ces combats.
Un discours militant sur la révolution alimentaire s’accompagnera à moyen terme d’une montée des requêtes sur la nutrition végétale, que la marque doit savoir capter via son .com. En proposant des contenus sur la révolution de la mobilité (https://group.renault.com/news-onair/) et le véhicule électrique, renault.com crée les conditions idéales pour accueillir le trafic associé à ces requêtes, dont l’essor est proportionnel à la pénétration de la thématique dans l’opinion.
Connecter les marques institutionnelles aux vraies gens
Cette démarche classique en e-commerce est encore peu commune en corporate.
Quels sont en effet les sites corporate qui se fixent comme objectif d’adresser un nombre croissant de requêtes hors marque ? Quel est le communicant qui rêve d’une pondération « marque »/« hors marque » de type 30/70 voire 20/80 ? Ce serait pourtant la preuve que là où elle souhaite être légitime, son entreprise s’occupe des sujets des « vraies gens », qu’elle est au diapason des attentes de la société. C’est en effet principalement sur Google que les choses se passent : 93 % des expériences online commencent avec un moteur de recherche ; les moteurs de recherche amènent 300 % de trafic en plus que les réseaux sociaux.
Or les stratégies digitales institutionnelles du milieu des années 2010 – qui ont visé à déconsolider ce qu’on appelle parfois abusivement le brand content corporate pour au mieux l’intégrer à des sites satellites tiers ; voire, au pire le supprimer purement et simplement – ont aussi contribué à couper les .com des audiences non régaliennes, c’est-à-dire des investisseurs, candidats et journalistes qui de toutes façons viendraient sur le site. À l’heure du purpose, c’est tout l’inverse qui s’impose : s’adresser à tous et pas seulement aux happy fews institutionnels avec lesquels l’entreprise est de toutes façons déjà engagée dans une relation faible ou forte, mais établie. Le .com est cet outil grâce auquel les entreprises peuvent et doivent faire rayonner un soft power ouvert et grand public.
Si l’on adopte cette posture, le travail se situe en amont des démarches classiques mais nécessaires de rédaction et d’optimisation SEO, et à fortiori d’optimisation du socle technique et fonctionnel qui les sert. Il s’agit de faire se rencontrer ce dont parle mon site et ce qui intéresse mes audiences :
- En approfondissant le topical content, c’est-à-dire le contenu dont l’expression découle naturellement du terrain de jeu et de légitimité de la marque et de l’entreprise concernée : ce qu’elle fait, comment elle le fait, pourquoi elle le fait ;
- En inventant le tangential content, c’est-à-dire le contenu qui se trouve à l’intersection de ce terrain de jeu légitime et de préoccupations, de combats, d’interrogations qui animent les audiences.
Au final, le .com est l’espace qui vous permet de prendre la (les) tangente(s), de trouver les points communs avec vos audiences en leur offrant une expérience riche et profonde.