La newsletter interne ou l’art du commun
Une étude du cabinet Lecko montrait en 2018 que 66 % des entreprises utilisent l’e-mail (listes de diffusion, newsletters) comme canal principal de leur communication interne.
Avantage principal : son coût et sa simplicité (logique « one size fits all »). En effet, l’e-mail est le support digital le moins onéreux et sa conception peut être intégralement réalisée en interne – une simplicité dont l’envers est la profusion de lettres « voitures-balais » de news déjà publiées, rarement contextualisées et dont la data s’avère rudimentaire ou inexistante. Et puis pourquoi se donner du mal quand la doxa privilégie le court et la modestie de l’expression « verticale », lui préférant celle des communautés internes.
De manière un peu contre-intuitive, si l’on va regarder ce que font les entreprises tech – Cisco avec We Are Cisco, Amazon avec Inside, Airbnb avec The Bulletin, Apple avec The Weekly, LinkedIn avec InDay… –, on trouve des dispositifs qui ne se limitent pas aux news « du moment » (les réseaux sociaux externes, dont la majorité des followers sont des salariés, le font très bien) mais articulent des contenus variés et de haut niveau permettant de « sortir la tête du flux » afin :
- de comprendre les enjeux fondamentaux de l’entreprise (interviews de dirigeants ou d’experts, insights sur les concurrents et les marchés, tendances des usages et des technologies…) ;
- de donner du recul sur le « flux » en sélectionnant et contextualisant les informations significatives dont le sens mérite d’être partagé (contrats et lancements majeurs, nominations, évolutions d’organisation et de process témoignant d’une orientation nouvelle ou de son renforcement…) ;
- d’inspirer de bonnes pratiques en valorisant les expériences et en prodiguant des conseils de développement personnel et professionnel (récits, reportages sur le terrain…).
Bref, un travail de sélection et de valorisation de l’information qui installe une forme de décélération (à l’instar de certains événements internes) quand « tout va trop vite », qui donne des repères et réduit la complexité de façon à mieux armer les collaborateurs.
Autrement dit, un travail exigeant, encore rare, qui se justifie par 5 KPI :
1. Le partage d’un agenda commun
inspiré par le purpose, le projet opérationnel ou les valeurs de l’entreprise. Un partage qui ne porte pas sur les faits mais sur les problèmes communs (pourquoi et comment développer son impact, se développer en Asie, intégrer l’IA ou la blockchain, être plus agile, développer l’esprit critique…). Des problèmes qui transcendent les statuts, les géographies, les communautés et qui facilitent les échanges et la coopération (si on n’a pas de problèmes communs, on n’a pas grand-chose à échanger, à se raconter). Essentiel dans une époque où l’agenda setting (la mise à l’agenda) est hautement concurrentielle et fragmentée. L’entreprise doit définir SON terrain de jeu.
2. La lutte contre la fatigue informationnelle
qui résulte presque toujours des quatre mêmes facteurs : l’illimitation du flux, la violence de l’expression, l’incompréhension, l’incapacité (que puis-je en/y faire ?). Le phénomène est croissant. Selon la Fondation Jean Jaurès, plus d’un Français sur deux en souffre*. On retrouve ce syndrome en entreprise : près de quatre salariés sur dix estiment recevoir trop d’informations par le biais de leurs outils de travail**.
Alors, la lettre ? Reprenons les quatre facteurs de « fatigue ». Le flux : la lettre est un média rare et « borné », avec un début et une fin. La violence de l’expression : les salariés y sont rarement exposés en interne, davantage par le biais de polémiques externes touchant leur entreprise ; dans ce cas, le média peut argumenter et organiser le dialogue sur l’incrimination. L’incompréhension : comme on l’a dit, la lettre doit donner du recul et rendre accessible la complexité en trouvant les formats qui permettent parler au plus grand nombre, éventuellement en offrant plusieurs niveaux de traitement. L’incapacité : elle doit faire le lien entre l’information et les pratiques, le thème et les actions, les preuves issues du terrain (et éventuellement des appels à en sourcer ou à en fournir !)
3. La couverture de toutes les étapes du tunnel de l’engagement interne.
La lettre est LE média qui permet de couvrir toutes les étapes du tunnel de l’engagement (cf. infographie). L’attention et la compréhension, à l’évidence, mais également l’ambassadorat interne ou externe en lui fournissant une matière précieuse et choisie. Les technologies disponibles permettent en effet de produire une « formule avancée » pour ceux qui le souhaitent (je veux plus d’infos sur tel ou tel sujet…), de les faire contribuer (je peux témoigner…) et de créer des mécaniques de rediffusion interne et externe.
4. La valorisation de la data.
Bien outillé, le suivi consenti des ouvreurs, des cliqueurs et des contributeurs permet de parfaitement piloter sa politique éditoriale et de recruter des « alliés » pour des initiatives opportunes : le recrutement d’ambassadeurs, de volontaires, d’invités pour un événement, un sondage, un panel… Cette dimension relationnelle est classique pour les marketeurs mais encore assez inédite en communication interne. Hormis les discussions qu’elle peut provoquer, une lettre RÉGULIÈRE peut devenir un outil performant de socialisation : que vaut une information qui ne provoque ni discussion ni action ?
5. L’exploitation de la longue traîne.
L’entreprise produit beaucoup de contenus de qualité enfouis dans la profondeur de ses outils ou ignorés en raison de leur ancienneté, même si dans la logique proposée – comprendre, donner du recul, inspirer – ils restent pertinents. La lettre permet de les réactiver grâce à des liens. De manière plus générale, elle peut devenir LA boussole qui permet de s’orienter dans le maquis des contenus produits.
Et devenir la référence de cette audience exigeante – les salariés – que les travaux préalables à la loi Pacte définissaient comme une partie CONSTITUANTE de l’entreprise. Avec les actionnaires qui, eux, disposent très fréquemment… d’une lettre.