Le télétravail est-il soluble dans toutes les cultures d’entreprise ?
On a beaucoup écrit (et parlé) ces dernières semaines des avantages et des inconvénients du télétravail.
Entre tenants d’une ligne dure pro-télétravail (mention spéciale aux dirigeants de PSA ou de Twitter), farouches opposants (voir notamment l’opinion tranchée de Pascal Gattet de Xerfi) et partisans d’un entre-deux prudent (pour lesquels tout dépend du dosage et des conditions), le débat n’en finit pas dans une France qui se remet à peine du confinement du printemps et vit dans la crainte d’une recrudescence de la crise sanitaire qui pourrait en entrainer un nouveau.
Les uns mettent en avant, pêle-mêle, les avantages réels ou supposés du télétravail sur la qualité de vie, son impact positif sur l’environnement ou encore sur la revitalisation de villes moyennes autrefois en perdition.
Les autres pointent du doigt la perte de liens sociaux, les multiples inégalités que le développement du télétravail pourrait faire naître (entre cols blancs et cols bleus, entre célibataires et parents de familles nombreuses, entre riches et pauvres…), les risques que le travail à distance ne soit qu’une première étape vers la délocalisation, l’absence de frontière entre vie professionnelle et vie privée. Ils considèrent enfin le télétravail comme facteur de risques psychosociaux et d’inefficience…
Il est bien difficile de trancher un débat tout aussi compliqué que passionné. On peut en revanche s’interroger sur les raisons qui peuvent pousser une entreprise à faire un choix plutôt qu’un autre, à se montrer très « progressiste » ou plus « conservatrice ».
Le premier critère qui peut pousser une entreprise à passer le pas et à opter pour le télétravail de manière assez massive est sans doute financier. Il est en effet bien plus simple et efficace de demander à ses collaborateurs de rester à la maison que d’organiser le déménagement de ses locaux en zone franche. Supprimer une grande partie des frais généraux (et les faire assumer par les collaborateurs eux-mêmes) : aucun DAF n’aurait rêvé d’une telle aubaine il y a quelques mois encore.
Mais au-delà du calcul financier, la position d’une entreprise vis-à-vis du télétravail est certainement plus fondamentalement révélatrice de son modèle culturel.
Si l’on se réfère au schéma égo/éco du management global souvent utilisé par les adeptes de la sociodynamique, le télétravail paraît très adapté à des entreprises donnant la priorité aux systèmes, qu’elles soient mécanistes (tournées vers l’intérieur) ou transactionnelles (ouvertes sur l’extérieur).
Les entreprises mécanistes, fortement hiérarchiques, peuvent en effet facilement s’adapter en adaptant leurs process de répartition des tâches et de contrôle au télétravail. Leur culture de l’ordre et de la conformité aux normes leur sera en la matière un réel atout.
Les entreprises « transactionnelles » qui, en plus de donner la priorité aux « systèmes », sont fortement ouvertes sur l’extérieur et sont aussi très « télétravail-compatibles ». Ces entreprises sont animées par la recherche de l’excellence et du résultat et sont drivées par l’esprit de compétition. Elles attendent de leurs managers qu’ils se montrent professionnels et stratèges, de leurs collaborateurs qu’ils démontrent efficacité et autonomie. Leur objectif en matière RH : mettre chacun dans les meilleures conditions pour réussir. Elles font pour cela de la satisfaction individuelle leur priorité. Le télétravail entre assez naturellement dans ce cadre, les collaborateurs de ces entreprises ayant toute latitude pour assouvir leurs besoins relationnels et affectifs en dehors du cadre professionnel (famille, amis, monde associatif…). Quant à la confiance nécessaire à accorder pour laisser chacun s’organiser sans cadre ni surveillance, elle sera d’autant plus facilement accordée que la mesure du résultat individuel en constituera le juge « de paix » ultime.
A l’inverse, le télétravail sera moins plébiscité par les entreprises « tribales » qui font des hommes leur priorité et sont davantage tournées vers l’intérieur en faisant de la loyauté et de l’esprit de corps leurs valeurs cardinales. Pour ces entreprises tribales, avoir des collaborateurs satisfaits et même motivés ne suffit pas. Elles ont besoin de davantage pour se développer c’est à dire de générer un engagement fort permis par le partage d’un commun constitué d’un projet opérationnel clairement défini mais aussi de valeurs affirmées et d’une raison d’être puissante (un projet au service, le plus souvent, non pas seulement de la performance de l’organisation mais du bien commun). Pas évident que ces entreprises tribales se sentent très à l’aise avec l’idée de ne pas réunir leurs collaborateurs tous les jours, de se contenter la plupart du temps de contacts virtuels et de management à distance.
Reste le cas plus ambigu des entreprises holistiques (donnant priorité aux hommes et ouvertes sur l’extérieur). Leur énergie est entrepreneuriale et tirée vers la recherche de l’autonomie mais elles cherchent en parallèle à développer chez leurs collaborateurs le sentiment de faire partie d’un tout. La coopération, l’entreprise apprenante et les communautés de pratique sont au cœur de leur modèle. Elles devront s’assurer, si elles adoptent massivement le télétravail, de pouvoir trouver les solutions digitales leur permettant de conserver ces dynamiques à distance.
Dans celles-ci plus que nulle part ailleurs, le débat devrait continuer à faire rage !