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Et cette fois, c’est la revanche de Florent Pagny et de ceux dont on n’aura pas liberté de penser

On n’a certainement pas fini de comprendre les implications des 5 mn30 de vidéo de Zuckerberg dont on parle tant depuis deux jours.

Notamment parce que les modalités pratiques des annonces sont encore mal voire inconnues. Pour rappel, les 5 annonces :

  1. remplacement des fact-checkers par les community notes sur le modèle de X
  2. assouplissement des politiques d’usage sur des sujets comme l’immigration et le genre
  3. allègement des filtres (“we will catch less bad stuff, but we’ll also reduce the number of innocent people’s posts and accounts and that we accidentally take down”)
  4. re-valorisation du contenu politique (civic content)
  5. déménagement des équipes de modération au Texas (ce qui ressemble beaucoup à une provocation, mais pour être fair, il faut dire les équipes des sièges en Californie sont marquées à gauche, de manière établie)

 

(Et bien sûr parce que les résultats ne sont pas encore visibles.)

Mais si tout n’est pas clair dans la pratique, la philosophie sous-tendue par ces annonces a au moins le mérite de l’être.

Une annonce qui acte un changement d’époque

Et si ce qui choque beaucoup ici en Europe est l’abandon du fact-checking, donc le fait d’acter que chacun a sa vérité propre, cette décision de Meta me semble surtout ressembler à un point d’inflexion qui marque définitivement la fracture de nos sociétés et acte un changement d’époque.

Je ne sais pas si c’est une fracture entre la gauche et la droite, les extrémistes et les modérés, les autoritaires et les démocrates… ou plutôt entre :

  • dans la vision des uns, ceux qui se font une certaine idée du progrès vs. leurs ennemis réactionnaires
  • ou, dans la vision des autres, ceux qui ont leur liberté de penser vs. leurs ennemis qui se croient être le camp du bien et font la police de la pensée.

(Je n’arrive même pas à nommer les deux camps de manière neutre : le simple fait de nommer signifie son appartenance à l’un ou l’autre).

Car chacun est l’extrémiste, le censeur de l’autre. Et c’est irréconciliable.

Pour illustrer, voici deux copier-coller de messages reçus en privé en réaction à mon papier sur les élections américaines sur X : “X est comme CNews, c’est un lieu où on peut trouver (enfin) une info différente du catéchisme des médias woke et bien-pensants” ; et “Je ne me fais aucune illusion sur Trump, mais ce qui me réjouit, c’est la défaite des woke”.

Et on m’a plusieurs fois rappelé, toujours en message privé, que mettre X au service de Trump n’était qu’un modeste retour face aux “Legacy Media” qui faisaient très majoritairement campagne contre lui.

Messages reçus en privé donc, et non en commentaires : leurs auteurs n’estiment pas pouvoir les porter en public. Ils se sentent jugés, censurés.

“Censure” : c’est un des mots utilisés par Zuckerberg, mais qui n’utilise pas dans sa vidéo le mot « woke » alors que c’est bien de ça qu’il s’agit. Le facteur anti-woke a été déterminant dans le vote Trump.

Vous n’aurez pas leur liberté de penser

Et si vous avez du mal à comprendre l’esprit Musk (je ne parle pas de celui de Zuckerberg qui me semble plus opportuniste), les dessins ci-dessous, qu’il a partagés pendant la campagne, me semblent très révélateurs.

Il me semble par ailleurs :

  • Intéressant de voir que dans sa déclaration d’allégeance (c’est ainsi que certains l’ont qualifiée le mot est amusant et me semble assez bien décrire la situation) au ticket Trump / Musk, MZ reprend le terme de « Legacy Media » propre au vocabulaire trumpiste.
  • Ironique que celui dont les réseaux sociaux sont les plus massivement utilisés se mette dans la roue de celui dont on s’est tant demandé ce qu’il avait fichu avec son rachat à 44 M$. Qu’il est loin le combat de MMA qu’ils nous avaient promis !
  • Terrible aussi de l’entendre associer Amérique Latine, Europe et Chine dans une tendance mondiale “anti-américaine”, dans un renversement géopolitique inattendu. (Même s’il n’a pas tort sur l’Europe et l’innovation).

Côté com, l’exercice vidéo est très subtil, notamment en ce que le Z invoque le contexte (l’époque est à la liberté de parler et de penser, donc on relâche la surveillance), ce qui lui donnera la souplesse de faire machine arrière s’il en a besoin dans quelque temps… (par exemple, 4 ans).

Il y a quelques années mon papier sur Apocalypse Cognitive s’intitulait « la revanche de Stephan Eicher sur Alain Souchon ». Aujourd’hui, c’est donc celle de Florent Pagny et de tous ceux dont on n’aura pas la liberté de penser !

S’habituer au chaos

Au final, il faut se préparer à s’habituer à un environnement de plus en plus chaotique sur les réseaux sociaux, puisque c’est vers cela qu’on va.

Un point spécifique sur les community notes dont il faut dire qu’elles sont sont quand même un instrument de mise en contexte intéressant. Mais dont le poids me semble faible pour trois raisons : 1. elles lacent leurs chaussures le temps que la contre ou post-vérité fasse le tour du monde (lenteur), 2. on peut avoir la flemme de les lire (visibilité), 3. des groupes d’intérêt peuvent les instrumentaliser.

De ce nouveau paysage des réseaux sociaux qui semble se dessiner, on verra ce que font les utilisateurs ; quant aux entreprises, il me semble sauf engagement particulier improbable qu’elles se privent d’outils de marketing et com aussi puissants.

Elles peuvent se réfugier dans un agnosticisme qui aura le mérite de leur éviter la complexité, voire considérer qu’il est de leur rôle de parler à touset donc continuer à occuper les réseaux sociaux.

Restera Linkedin, dont beaucoup vont finir par apprécier les défauts… et dont aucun média ne parle jamais, malgré son immense succès.