L’engagement ? Quoi ? Pourquoi faire ?
On n’a jamais autant parlé d’engagement en entreprise, notamment en communication interne, alors que, dans la société, il est largement en crise.
En tout cas, dans sa forme traditionnelle, qui associe un plan pour changer le monde, l’inscription dans un collectif très codifié et l’irréversibilité : le militaire héroïque, le militant, l’intellectuel engagé, le syndicaliste acharné, le bénévole dévoué n’offrent plus des postures attrayantes, même si leur évocation suscite encore la nostalgie.
Aujourd’hui s’est substitué à cet engagement « fort » – dont on sortait dévalorisé, « traître à la cause », « défroqué »… – un engagement « faible » qui associe un projet (et non un plan), un individu (et non un collectif codifié et prédéterminé), et surtout la réversibilité : on passe d’une cause, d’une forme de mobilisation à l’autre ; on s’arrête définitivement ou temporairement.1La forme apparemment la plus légère mais infiniment puissante est le témoignage. Qu’on pense à #MeToo : je témoigne, moi aussi, et ainsi émerge un nous qui a la même force que le Mouvement de libération des femmes dans les années 1970. Les réseaux sociaux y contribuent.
Les nouvelles donnes de l’engagement
Dans cette situation, est-il encore raisonnable de parler d’engagement en entreprise ?
Sans doute, dès lors qu’on a compris les ressorts du nouvel engagement. L’entreprise apparaît certes comme une organisation codifiée et prédéterminée, mais « en vrai », elle est toujours en transformation : devoir trouver ses marchés (produits, emplois, financements) la rend infiniment plus fluide que les organisations incarnant l’engagement fort.
Par ailleurs, elle offre plus de projets qu’un plan (même si raison d’être et sa mission paraissent l’y inviter). Enfin, la réversibilité est consubstantielle à sa nature contractuelle.
Mieux, elle peut apparaître comme le dernier collectif qui n’aliène pas les individus et qui permet au minuscule David des initiatives individuelles de faire face au Goliath des nécessités et des gigantesques rouages des régulations du monde.
Ce nouvel engagement dans lequel on entre par motivation individuelle, davantage que par vocation partagée, crée un rapport particulier avec son objet. Un recrutement ne fait pas un engagement, comme un date, un couple.
« L’engagement suppose une mobilisation de soi, une capacité puissante d’innovation, une puissance vitale… Avant tout, il est puissant. Pouvoir de, capacité d’initiative, et pouvoir sur, puissance d’initier. Il vient alors rompre l’ordre établi, la fixité des choses par la mouvance de la vie. » Plus loin ce même auteur écrira : « D’ordre existentiel et non contractuel, l’engagement est relation de soi à ses décisions que nulle loi ne peut forcer et encadrer. » La phrase résonne curieusement avec la définition de l’engagement par l’ANDRH : « L’ensemble des actions d’un salarié qui vont au-delà de la contribution demandée par le contrat de travail, qui renforce le sentiment de contribuer à un projet commun, dans le respect des valeurs de l’entreprise. ». Retenons l’essentiel : aller au-delà du contrat.
L’engagement est le pouvoir de changer le statu quo
Si l’on synthétise : l’engagement, c’est une puissance d’agir, de changer ; une sorte d’excès par rapport au prévisible du contrat. L’engagé devient indispensable dans le monde VUCA (volatil, incertain, complexe, ambigu) qui baigne l’entreprise. Il est toujours « au-dessus des attentes », comme l’évoquent les grilles d’évaluation. Parfois « à côté des attentes » tout en suggérant à son manager une évolution qu’il n’avait pas anticipée.
La difficulté pour la communication interne, habituée à l’œcuménisme, est de saisir que l’engagement n’est pas nécessairement l’affaire de tous, ne serait-ce que parce que son « envie d’agir » peut se déployer hors les murs de l’entreprise. Certains pessimistes diront même que certains préfèrent exister (se laisser vivre) que vivre. Mais bon, ça, c’est de la philo…
Alors, peut-on agir (les communicants internes, notamment) pour engager ? Sans doute pas, car cette « puissance de vie » est liée à des caractéristiques psychologiques acquises le plus souvent en dehors de l’organisation et qui n’ont pas un objet particulier et définitif. On est engagé de la même manière dans ses relations, sa pratique sportive, son entreprise…
Des psycho-sociologues2« L’implication (ou l’engagement ?) au travail : quoi de neuf ? ». Brigitte Charles-Pauvers, Dominique Peyrat-Guillard ; https://www.agrh.fr/assets/actes/2012-charlespauvers-peyratguillard.pdf ont d’ailleurs montré que l’engagement était toujours mû par un processus tridimensionnel quel qu’en soit l’objet : l’enthousiasme, qui correspond au plaisir, à l’intérêt personnel ou à l’attirance ressentie par l’individu à l’égard de l’objet de l’engagement ; la persévérance, qui est considérée comme favorisant la poursuite des actions et des efforts que nécessite l’engagement en dépit des obstacles rencontrés, et, enfin, la réconciliation, qui permet d’accepter que l’engagement implique toujours certains aspects difficiles auxquels il est nécessaire de faire face pour pouvoir profiter des avantages qu’ils comportent.
Créer un narratif de l’engagement
Pour autant, doit-on baisser les bras en attendant que les recruteurs ou le hasard peuplent l’entreprise d’engagés volontaires ? Sans doute pas, à condition de passer d’une communication d’engagement à une communication d’engagés3Qui n’absorbe, bien sûr, pas toute la communication interne : les non-engagés (très différents des désengagés) méritent une grande considération..
Première piste : valoriser l’enthousiasme, la persévérance et la réconciliation comme des comportements encouragés par l’entreprise. Peu de risque, car ces dispositions sont rarement dissonantes avec les valeurs affichées par l’entreprise. La difficulté est de les faire tenir ensemble. Un spécialiste du SEO vous dira qu’il s’agit des mots-clés qui doivent driver les témoignages de collaborateurs dans les médias internes, sur les réseaux sociaux, les événements… Dans le même esprit, les dirigeants de l’entreprise peuvent les relayer.
Deuxième piste : révéler la diversité des cibles d’engagements possibles. La littérature privilégie naturellement l’engagement organisationnel, celui dont l’objet est l’entreprise dans sa globalité (purpose/valeurs/projet opérationnel). Il en existe pourtant quatre autres4 « L’engagement des salariés dans le travail », Kathleen Bentein, Florence Stinglhamber, Christian Vandenberghe ; https://www.researchgate.net/profile/Florence-Stinglhamber- 2/publication/255656732_L’engagement_des_salaries_dans_le_travail/links/550c25d30cf2528164db7829/Len gagement-des-salaries-dans-le-travail.pdf : le métier, la carrière, le manager et l’équipe. La communication interne peut reconnaître et valoriser ces autres engagements. Tout son outillage, des médias à l’employee advocacy, est disponible pour mettre en avant ces collaborateurs qui, dans un périmètre précis, jouent un rôle modèle : ce professionnel investi qui inspire ses collègues et ses pairs jusqu’à défendre son métier sur TikTok ; ce jeune cadre qui change de job pour la troisième fois en six ans et qui garantit sa loyauté dans la durée si on continue de lui offrir une carrière riche ; ces collaborateurs qui racontent comment un manager a pu devenir une rencontre qui a changé leur vie ; cet équipier dont la joie donne envie de se lever… Il y a à faire si l’on veut tenir son livre des engagés, en acceptant que tous n’y figurent pas.
Troisième piste : communiquer sur la valeur de l’engagement pour l’entreprise et que la capacité de cette dernière à le laisser se déployer. On l’a vu, l’engagement est avant tout puissance. Pouvoir de, capacité d’initiative, et pouvoir sur, puissance d’initier. En d’autres termes : laisser les engagés bousculer le statu quo. Il faut pouvoir dire et prouver que l’on en est capable. Que le change maker soit le bienvenu.
En vérité, la communication interne aurait tout à gagner à construire et déployer un narratif sur l’engagement : les traits de caractères qui l’originent, les cibles qu’il peut activer, et l’éthique qui le rend possible constituent en effet une sacrée matière ! Il valorise et ouvre la voie à des collaborateurs qui n’avaient pas imaginés s’engager (tout en en ayant la capacité). Il est de surcroît relayable à l’externe : pour séduire les futurs engagés…