L’ère du reflux
L’ère du reflux
La direction du Times l’a annoncé la semaine dernière : le quotidien britannique ne proposera bientôt plus d’informations de flux sur sa version en ligne. Ce qui veut dire que – sauf breaking news – le site d’information ne sera rafraichi que 4 fois par jour, à des créneaux horaires fixes. Finie la promesse de « l’info en temps réel » et de la réactivité éditoriale absolue (et gratuite) autour de laquelle la quasi-totalité de l’offre d’information en ligne s’est construite depuis la fin des années 90.
« Notre force est de proposer une lecture définitive sur ce qui s’est passé, plutôt que d’aligner des tweets de condoléances de leaders autour du monde », a expliqué Nick Petrie, responsable adjoint au numérique du Times, au Nieman Journalism Lab. Des propos repris par cet article des Echos, qui le commente en ces termes : « pour le quotidien londonien, l’information brute est désormais un produit de faible valeur et les lecteurs ne sont pas aussi friands qu’on a pu l’imaginer de snacking en matière d’info. »
Suis-je bien updaté ?
Que l’information brute et instantanée soit un « produit de faible valeur » peu différentiante et de plus en plus facile à produire (des logiciels commentent déjà des matchs de foot…) n’est pas un scoop. En revanche, que les lecteurs n’en soient pas si friands ou bien qu’ils s’en soient lassés après des années de flux à outrance est beaucoup plus intéressant, tant cette analyse tord le cou à deux « clichés » qui ont la peau dure en ce qui concerne les contenus digitaux.
Le premier concerne les attentes éditoriales des internautes. Non, celles-ci ne se résument pas à ce que peut leur apporter les flux de news, de brèves, de post, de tweets… Non, les lecteurs ne se satisferont pas d’un web déversoir incessant et éphémère de contenus propulsés par des medias lancés dans une fuite en avant. Toujours plus, toujours plus vite. Parfois (souvent ?), l’internaute souhaite aussi arrêter la pendule. Faire le point, s’arrêter, prendre le temps de l’analyse, de la synthèse, de la big picture. Prendre le temps de souffler et de sortir la tête du flux. Souffler pour mieux comprendre. Souffler aussi pour se libérer du stress qu’induit le flux et que résume la question plus ou moins franchement angoissée : « Suis-je bien updaté ? »
Le second concerne le statut du media digital dans ces rapports avec les autres médias. Et en particulier avec le print auquel est généralement dévolue la fonction référentielle, la big picture, la récapitulation, le bouton pause permettant de sortir du flux… Ce qui dessine en creux le territoire du web : les faits bruts, le live, l’instantané, le léger, le fun.
Vers un nouveau partage du monde éditorial
A l’heure de la montée en puissance des audiences mobiles et de l’érosion spectaculaire des audiences media print (les 16-30 ans consacrent 6 minutes par jour à la lecture de journaux et magazine contre plus de 5 heures à la consommation de contenus et services sur ordinateurs, tablettes et mobiles1), les limites de ce partage du monde éditorial se font jour de toute part. En quoi le support digital, la consultation sur écran seraient en soit contradictoires avec des contenus de fond, d’analyse, d’expertise ? Et surtout qu’attendront donc les 16-30 ans du sondage cité tout à l’heure dans 5 ans ? Rien d’autre qu’une offre de contenu digital mature et adulte. Comme eux.
1Etude Connected life 2016, TNS Sofres