Mettre fin au tabou de la maladie en entreprise
Octobre Rose touche à sa fin et on a de nouveau vu fleurir sur les réseaux sociaux les initiatives d’entreprises pour lever des fonds pour la lutte contre le cancer du sein et sensibiliser à l’importance du dépistage. L’année est désormais rythmée de temps forts autour de la santé, initiatives des pouvoirs publics ou de groupes privées (Octobre Rose a été lancé conjointement par le magazine féminin Marie-Claire et l’entreprise de cosmétique Estée Lauder en 1994) : Movember pour les maladies masculines, le mois sans tabac, Mars Bleu pour le cancer colorectal ou encore le mois de la santé mentale qui a fait son apparition à la rentrée 2022.
Tout le monde semble désormais à l’aise pour lever des fonds et porter un discours généraliste sur le sujet de la maladie : c’est même devenu un incontournable des politiques de santé et sécurité des entreprises. Ces dispositifs de sensibilisation aux maladies sont des opportunités pour les entreprises de mener des campagnes corporate autour de la santé des salariés, mais aussi pour les équipes, au local, de s’engager et de vivre des moments de team-building.
La facilité avec laquelle ces campagnes se sont généralisées contraste avec la gêne ou le manque d’accompagnement qui peut encore entourer les cas individuels. Courir contre le cancer avec son équipe ou savoir accompagner ses salariés lorsqu’un membre de l’équipe est malade d’un cancer sont deux choses très différentes. La maladie (notamment la maladie longue) est toujours perçue comme un sujet intime, personnel, ce qui engendre les difficultés de prise en charge et d’accompagnement que l’on peut imaginer : Que dire à son salarié malade ? Comment l’accompagner professionnellement ? Comment s’assurer du bon fonctionnement de l’équipe en son absence ? Que dire à ses collègues et comment les soutenir psychologiquement ? Autant de questions sur lesquelles les managers voient flou.
En France, 15% des Français actifs sont touchés par une maladie chronique et 1200 personnes apprennent chaque jour qu’elles ont un cancer, dont 400 travailleurs. Malgré ces chiffres impressionnants, la discrétion quant à la maladie est toujours de mise : 55% des Français considèrent que le cancer est un tabou en entreprise, un indicateur qui évolue favorablement puisqu’ils étaient 77% il y a 10 ans.
De ce point de vue, Arthur Sadoun, président de Publicis, fait figure d’exception : en avril 2022, il a pris les devants et posté sur YouTube une vidéo intitulée « Un message très personnel », dans laquelle il raconte être atteint d’un cancer. Outre le rare exercice de transparence, cette vidéo a le mérite de couvrir tous les aspects de la maladie : le protocole médical, l’impact sur le patient (fatigue, amaigrissement etc.) et les conséquences sur le business et les équipes (présence réduite au bureau, mise en pause des déplacements professionnels…). Pour un patron comme Arthur Sadoun, cette communication constitue un exercice de leadership contemporain, qui fait de l’authenticité et de la vulnérabilité des atouts pour diriger. Mais il est encore bien seul !
Dans un monde où les malades sont mieux soignés, où la durée de la vie active tend à s’allonger, où les salariés aspirent à être reconnus et valorisés pour leur contribution au collectif, la maladie en entreprise ne peut plus être une question taboue, qui relèverait uniquement de la médecine du travail ou des RH. Elle doit devenir un enjeu stratégique, relevant à la fois de questions économiques (coût des absences des salariés…), de culture managériale et de RSE.
Si les politiques RSE des entreprises abordent souvent les questions de Santé et Sécurité sous le seul prisme de la sécurité au travail (réduction des accidents notamment), des initiatives pour mobiliser autour de la maladie commencent à apparaître dans certaines entreprises engagées (comme celles membres de l’association Cancer@Work) : partage de bonnes pratiques pour managers et collègues, mesure des avancées sur le maintien dans l’emploi de personnes malades, développement d’actions solidaires d’insertion des personnes fragilisées par la maladie, initiatives de reconversion professionnelle etc.
Sur ce sujet, comme sur celui des violences intrafamiliales, des violences sexuelles, des questions LGBT, du racisme, de l’articulation vie professionnelle / vie familiale, la société est prête à ce que le privé fasse irruption dans l’entreprise : oui, la maladie est une affaire intime, mais elle a un tel impact sur les personnes concernées, leurs proches et aidants, que l’employeur est désormais attendu comme acteur du parcours des malades, notamment pour faciliter leur maintien ou leur retour à l’emploi. Selon la formule de Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de WeCare@Work et Cancer@Work, les entreprises doivent s’engager « pour que les malades qui survivent à la maladie ne meurent pas professionnellement ».