Quels marqueurs de l’engagement des collaborateurs pendant la crise ?
En réponse à un précédent article, L’Engagement des salariés pendant la crise, la question du marqueur de cet engagement a été soulevée.
Elle est en effet centrale. Elle l’est en règle générale. La notion d’engagement est souvent utilisée à tort et à travers et pourrait être critiquée, parfois, pour son manque de substance. Rappeler sa définition ne suffit pas toujours à éviter les raccourcis et les lieux communs. Il est nécessaire pour lui donner plus de consistance de préciser comment l’engagement se manifeste concrètement chez les salariés (et donc ensuite comment il peut ensuite être mesuré).
Elle l’est plus encore dans la crise actuelle, sans aucun précédent et qui risque d’impacter fortement la relation entre les salariés et les entreprises ainsi que la notion même d’engagement.
1. Cette crise touche en effet chacun d’entre nous dans nos différentes dimensions.
- Dimension intellectuelle : beaucoup cherchent à appréhender les différentes composantes de cette crise, aussi bien scientifiques que sociologiques et économiques ; les contenus pédagogiques et le besoin de comprendre prennent une place importante.
- Dimension physique : pour ceux qui sont personnellement touchés par ce terrible virus mais aussi pour les collaborateurs qui doivent se rendre sur leur lieu de travail dans des conditions difficiles.
- Dimension émotionnelle : avec une palette très large d’émotions, la compassion envers les malades, la gratitude envers les soignants, le rejet des contrevenants aux règles du confinement, la colère parfois contre ceux qui nous gouvernent et enfin, bien entendu, la peur d’être soi-même infecté et d’infecter ses proches.
- Dimension spirituelle : la crise vue par certains comme une vengeance divine, par d’autres comme une inestimable occasion de renouveau moral.
Elle mobilise également nos différentes identités.
- Identité citoyenne, bien entendu ; on le voit par exemple au travers des remarquables élans de solidarité qui fleurissent tous les jours.
- Identité professionnelle – notamment pour ceux dont le métier contribue à apporter des réponses à la crise actuelle – et de collaborateur – de l’impact à court terme sur sa relation avec l’entreprise à l’impact de cette crise pour celle-ci.
- Identité de consommateur, si sensible avec la crainte des difficultés d’approvisionnement sur les produits courants comme avec une nécessaire réduction momentanée, peut-être en partie salvatrice pour l’environnement.
Or ce sont ces mêmes dimensions et identités que l’entreprise doit mobiliser pour engager de manière holistique comme nous l’avions souligné dans Faire converger engagement et quotidien des collaborateurs.
2. Cette crise est aussi sans doute en train de transformer en profondeur la représentation qu’on se fait des entreprises et surtout le lien qui les unissent à leurs collaborateurs
On s’aperçoit soudain à quel point les entreprises, malgré certains travers, sont profondément utiles à la société et, pour la plupart, prêtes à agir de manière solidaire dans de telles situations.
En la matière, deux impacts possibles :
- un effilochement de ces liens durant ces semaines de confinement (lié à un éloignement physique et mental, notamment dans les cas d’une baisse naturelle d’activité et de mise en place de dispositifs de chômage partiel) ;
- ou, au contraire, un attachement renforcé par le besoin ressenti de faire davantage partie d’une communauté.
Or, dans cette situation, où les cadres posés habituellement par l’entreprise sont totalement bouleversés et où il est plus difficile pour elle de contraindre et de contrôler l’implication quotidienne de chacun, et notamment des télétravailleurs, l’engagement individuel et collectif, libre et consenti, prend tout son sens. Il permettra sans doute aux entreprises selon l’engagement qu’elles arriveront à générer chez leurs salariés, de plus ou moins bien traverser la crise et de s’en relever.
Mais si cet engagement est plus que jamais indispensable, comment, pour revenir à la situation initiale, se manifeste-t-il et doit-il concrètement se manifester pour ne pas tomber pas dans l’excès ?
Avec une première question associée : l’assiduité à venir travailler est-elle un bon marqueur ?
Si, en temps normal, travailler chaque jour et de manière régulière, ne traduit pas d’engagement particulier, juste le simple et minimal respect du contrat de travail, les choses sont différentes en ce moment pour ceux qui travaillent de chez eux : pour eux, l’assiduité peut être considérée durant le confinement comme un marqueur d’engagement.
Mais quid de ceux dont le métier oblige à continuer à se rendre sur leur lieu de travail ?
On aurait tendance spontanément à se féliciter de l’engagement de ceux qui, dans des conditions difficiles, acceptent de le faire et en partie de s’exposer pour faire tourner leur entreprise.
Paradoxalement, exiger de tous un tel engagement est sûrement excessif. Il pourrait même témoigner d’un sur-engagement, bien loin du detached engagement cher à Jagdish Parikh (défini comme le soutien à l’entreprise sans que cela se fasse au détriment des autres activités sociales, familiales…). Quid en effet d’un salarié que l’engagement pousserait à prendre des risques ? Quid de celui qui, dès lors, n’écouterait pas ses premiers symptômes et ferait courir à ses collègues des risques importants ?
Mais alors, si la présence n’est pas le bon ou tout du moins pas l’unique marqueur, quel peut être ce marqueur pour ces populations ?
Il me semble que les différents niveaux de l’engagement définis dans le framework d’Angie cité plus haut donnent des pistes de réponse intéressantes. Ces niveaux sont au nombre de quatre.
Prêter attention aux messages et au discours de l’entreprise et chercher à les comprendre (en gardant son esprit critique), voilà qui apparaît plus que jamais comme révélateur d’un premier stade d’engagement.
La défendre dans ces moments difficiles correspond à un engagement supérieur.
Contribuer, en mobilisant tout ou partie de ses dimensions et de ses identités, constitue un stade plus avancé encore ; le vrai marqueur de l’engagement pendant la crise en quelque sorte. On pourrait ainsi mesurer l’engagement en calculant le nombre de collaborateurs acceptant de dialoguer avec l’entreprise et de co-construire avec elle (dans le cadre ou non des IRP) les solutions permettant de traverser au mieux cette crise et de préparer l’après. Ou, encore, par la part de ceux qui accepteraient de s’engager aux côtés de l’entreprise dans des actions solidaires.